Pour chaque citoyen palestinien d’Israël, l’imminence des élections israéliennes pose avec une acuité inédite la question de leur citoyenneté et de leur appartenance.
Des questions d’autant plus cruciales depuis le vote de la loi sur l’État-nation du peuple juif qui sera la clé du scrutin : pour ceux qui la soutiennent sans faillir comme pour les partis politiques d’opposition qui appellent à l’amender, voire à l’abroger.
Les minorités ethniques en Israël vivent au quotidien, et dans leur chair, la hiérarchisation de la citoyenneté. Cette loi inscrit ces expériences de discrimination vécues par la communauté palestinienne dans une légalité manichéenne.
Depuis 1948, la minorité palestinienne est soumise à des lois injustes, qui organisent et financent la confiscation de ses terres, la surveillance qu’elle subit ainsi que la répression politique dont elle est victime. L’État et les juifs israéliens rappellent constamment aux citoyens palestiniens la fragilité de leur citoyenneté israélienne.
Les discriminations dont sont victimes les citoyens palestiniens d’Israël ont redoublé après la Seconde Intifada, conséquence de provocations publiques proférées par Benyamin Netanyahou et des membres de son gouvernement d’extrême-droite à l’encontre des citoyens palestiniens et de leurs représentants. Ces incitations répondent souvent à un soutien des membres arabes de la Knesset aux Palestiniens ou aux protestations de la communauté arabe contre les mesures législatives prises à son encontre.
C’est le cas quand le ministre de la Défense Avigdor Lieberman traite le leader de la Liste arabe unie Ayman Odeh et ses collègues du Parlement de « terroristes » qui mériteraient d’être en prison ; il répondait aux députés arabes qui s’en étaient pris aux forces de police pour avoir violemment dispersé la manifestation de soutien à Gaza organisée à Haïfa pendant laquelle des manifestants ont brandi le drapeau palestinien ; en 2017, le même Lieberman avait appelé au boycott des commerces arabes. Il y a quelques mois, il avait déjà traité un député arabe de terroriste dont il avait déjà demandé la révocation de citoyenneté.
C’est comme si l’État et la société israélienne attendaient des députés arabes qu’ils défendent le bon droit des juifs israéliens d’extrême-droite et non leurs électeurs arabes.
L’État invoque des incidents violents isolés provoqués par des Palestiniens impliqués dans des actes de terrorisme pour jeter l’opprobre sur toute une communauté et la menacer de toujours plus de privations ou de mesures drastiques comme son transfert dans un État palestinien.
En 2017, devant l’envoyé spécial de Trump, son gendre Jared Kushner, et son représentant pour le Moyen-Orient, Jason Greenblatt, Netanyahou a réitéré sa proposition de transférer des communautés arabes d’Israël dans une zone sous contrôle palestinien en échange de l’annexion de certaines colonies en Cisjordanie. Cette proposition intervenait au lendemain des obsèques, à Umm al-Fahm (une ville arabe d’Israël) de trois assaillants ayant tué deux policiers sur l’esplanade des Mosquées.
Parallèlement, des actions sont menées contre des artistes arabes qui revisitent l’histoire palestinienne et expriment ainsi leur mécontentement contre l’occupation et l’inégalité chronique de la situation. En novembre 2018, sous la pression politique, un syndicat étudiant israélien a annulé un spectacle du rapper palestinien Tamer Nafar qui raconte le vécu de sa communauté.
Quand une institution comme l’université interdit des spectacles, cela revient à supprimer la liberté d’expression des Palestiniens. Concrètement, cela rappelle aux Arabes israéliens qu’ils sont considérés comme des citoyens de seconde classe, indésirables, inférieurs – voire menaçants.
La peur des Palestiniens et des Arabes a été institutionnalisée par des lois discriminatoires qui visent à réprimer l’identité des minorités ethniques et à pénaliser ceux qui osent l’incarner.
La loi sur la Nakba de 2011 en est un bon exemple : elle met en péril le financement par l’État des institutions cherchant à commémorer cette expérience palestinienne de l’expulsion et de la dépossession. C’est un texte révisionniste qui tend à nier ce qui unit les Arabes d’Israël aux Palestiniens des territoires occupés et à ceux qui vivent en exil.
Cette même volonté d’effacement se retrouve dans les manuels scolaires comme dans les archives personnelles. J’ai récemment pu le constater moi-même, en fouillant dans ma propre histoire familiale. Au cours de cette démarche, j’ai reçu une copie du passeport de feu ma grand-mère : alors qu’elle est née en 1942 – soit six ans avant la fondation de l’État d’Israël – son lieu de naissance est indiqué en Israël.
L’identité palestinienne des citoyens israéliens est considérée comme une menace permanente, précisément parce qu’elle n’a de cesse de résister aux assauts révisionnistes orchestrés par l’appareil d’État. Par le simple fait d’exister, les Palestiniens contestent l’effacement de leur propre récit par les institutions israéliennes déterminées à exorciser jusqu’au dernier les spectres de l’histoire palestinienne de leur pays.
L’ironie de la chose, c’est que tous ces efforts ne font que renforcer et unifier les différentes identités palestiniennes.
Mais que se passerait-il si une troisième option à cette polarisation forcée existait ? Une option qui prévoirait que la répartition des personnes ne se ferait plus de façon « ou / ou » mais plutôt « à la fois / et » ? Que se passerait-t-il si l’identité unique et complexe des Arabes d’Israël attachés à la fois à leur identité nationale palestinienne et à leur citoyenneté israélienne était encouragée plutôt que réprimée par l’État ?
La possibilité de commémorer l’histoire palestinienne ne devrait pas être considérée comme un privilège accordé par le gouvernement israélien quand bon lui semble ; c’est un droit fondamental de chaque citoyen quelle que soit son idéologie ou sa religion. L’expression d’une opposition pacifique à la politique du gouvernement ne justifie aucunement une telle répression.
Reconnaître les racines de notre identité aidera à légitimer nos opinions politiques, à exprimer nos besoins et à atténuer notre aliénation au processus démocratique. Cela pourrait tout simplement commencer par la réévaluation des politiques discriminatoires qui restreignent la liberté d’expression des Palestiniens en Israël.
Reconnaître l’identité palestinienne des citoyens arabes d’Israël pourrait enfin enclencher le processus de guérison au sein même de notre communauté – et, plus largement, cela pourrait être un premier pas crucial dans la résolution du conflit avec les Palestiniens. Le changement doit venir de l’intérieur.
Traduction : EM pour l’AFPS
Photos de l’artiste Ronel Fisher à l’Université de Tel Aviv, mai 2015. Moti Milrod